Manon Lescaut Incipit Analyse Linéaire

Vous préparez l’oral du bac de français ? Vous avez travaillé sur Manon Lescaut de L’abbé Prévost et vous voulez compléter vos cours ? Alors cette analyse linéaire de l’incipit est pour vous ! 

C’est une conclusion tragique aux aventures et à la marginalisation des deux amants.

L’analyse présentée ici propose un cadre que vous pouvez suivre et reproduire lors de l’épreuve anticipée de français. Vous pouvez bien entendu modifier la problématique, ou certaines analyses à votre convenance.

Avant de commencer à lire cette analyse linéaire de l’incipit de Manon Lescaut, n’hésitez pas à vous reporter à mon article “comment analyser un texte en français” et à ma “méthode de l’explication linéaire” pour mieux comprendre ma démarche.

NOTE IMPORTANTE : Cette analyse linéaire vous est proposée avec l’inestimable collaboration et le soutien précieux de ma collègue et amie : Fanny Berat-Esquier, Professeure agrégée de Lettres Modernes, auteur et Docteur en Littérature Française. Merci à toi, Fanny !

Introduction de l’analyse linéaire de l’incipit de Manon Lescaut

Présentation de l’auteur

Il ne faut pas se laisser abuser par le titre d’abbé par lequel on désigne couramment Antoine François Prévost d’Exiles. Sa vie est bien loin de l’image du sage religieux, retranché dans son abbaye. 

Né en 1697 dans une famille noble, il est d’abord tenté par la religion et suit une éducation jésuite, mais la fougue de la jeunesse le rattrape et il s’essaie à une carrière militaire. Essai infructueux puisqu’il revient rapidement à l’état de religieux.

Cependant, l’envie de vivre sans contrainte le rattrape encore et il quitte l’habit, pour le retrouver bien vite à la suite d’une rupture difficile. 

Finalement, il renonce définitivement à la vie religieuse et s’enfuit, en Hollande, puis en Angleterre. Il vivra une vie de voyages, de littérature et de salons. Sa popularité lui permettra de revenir en France en 1734 où il reprendra régulièrement l’habit, tout en quittant monastères et abbayes à sa discrétion. 

Il meurt en 1763, écrasé par les dettes.

Il est notamment l’auteur des Aventures et Mémoires d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, ensemble de romans dont Manon Lescaut est le 7ème et dernier volume.

Présentation de l’œuvre  

Le Roman Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, publié en 1731 et habituellement désigné simplement sous le titre de Manon Lescaut, raconte l’histoire d’amour et les aventures de Manon Lescaut et de Des Grieux, entraînés dans une marginalisation et une déchéance progressives.

Présentation du passage

L’extrait que nous étudions ici fait partie de l’incipit : après un Avis de l’auteur où l’homme de qualité explique pourquoi il va raconter cette histoire, le récit commence.

Renoncour est en Normandie pour régler des affaires et il arrive dans le bourg de Pacy où règne un certain tumulte, lié à la présence d’une chaîne de filles de joie destinées à la déportation en Amérique.

Il va alors rencontrer successivement Manon Lescaut, qui fait partie du convoi et le chevalier des Grieux, qui la suit.

Problématique

Nous nous demanderons en quoi cet incipit centré sur la présentation des futurs protagonistes de l’histoire les présente comme en décalage avec leur situation, de manière à créer du mystère et à susciter de la compassion. 

Plan

Pour mener cette analyse linéaire nous suivrons les deux principaux mouvements du texte. 

Du début de l’extrait jusqu’à « Il faut que ce soit son frère ou son amant », Renoncour découvre la future héroïne et la décrit. Puis, de « Je me tournai » à la fin du passage, il livre une description du personnage masculin qui l’accompagne. 

Analyse Linéaire de l’incipit de Manon Lescaut : Texte

La curiosité me fit descendre de mon cheval, que je laissai à mon palefrenier. J’entrai avec peine, en perçant la foule, et je vis, en effet, quelque chose d’assez touchant. Parmi les douze filles qui étaient enchaînées six par six par le milieu du corps, il y en avait une dont l’air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu’en tout autre état je l’eusse prise pour une personne du premier rang. Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits l’enlaidissaient si peu que sa vue m’inspira du respect et de la pitié. Elle tâchait néanmoins de se tourner, autant que sa chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des spectateurs. L’effort qu’elle faisait pour se cacher était si naturel, qu’il paraissait venir d’un sentiment de modestie. Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande étaient aussi dans la chambre, je pris le chef en particulier et je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle fille. Il ne put m’en donner que de fort générales. Nous l’avons tirée de l’Hôpital, me dit-il, par ordre de M. le Lieutenant général de Police. Il n’y a pas d’apparence qu’elle y eût été renfermée pour ses bonnes actions. Je l’ai interrogée plusieurs fois sur la route, elle s’obstine à ne me rien répondre. Mais, quoique je n’aie pas reçu ordre de la ménager plus que les autres, je ne laisse pas d’avoir quelques égards pour elle, parce qu’il me semble qu’elle vaut un peu mieux que ses compagnes. Voilà un jeune homme, ajouta l’archer, qui pourrait vous instruire mieux que moi sur la cause de sa disgrâce ; il l’a suivie depuis Paris, sans cesser presque un moment de pleurer. Il faut que ce soit son frère ou son amant. Je me tournai vers le coin de la chambre où ce jeune homme était assis. Il paraissait enseveli dans une rêverie profonde. Je n’ai jamais vu de plus vive image de la douleur. Il était mis fort simplement ; mais on distingue, au premier coup d’œil, un homme qui a de la naissance et de l’éducation. Je m’approchai de lui. Il se leva ; et je découvris dans ses yeux, dans sa figure et dans tous ses mouvements, un air si fin et si noble que je me sentis porté naturellement à lui vouloir du bien. Que je ne vous trouble point, lui dis-je, en m’asseyant près de lui. Voulez-vous bien satisfaire la curiosité que j’ai de connaître cette belle personne, qui ne me paraît point faite pour le triste état où je la vois ? Il me répondit honnêtement qu’il ne pouvait m’apprendre qui elle était sans se faire connaître lui-même, et qu’il avait de fortes raisons pour souhaiter de demeurer inconnu. 

Incipit Manon Lescaut : Analyse Linéaire

Analyse linéaire incipit Manon Lescaut : description de la future héroïne

Le récit est mené à la 1ère personne par le Marquis de Renoncour, homme de qualité qui livre ses Mémoires : rappelons que Manon Lescaut constitue le tome VII et dernier de ces Mémoires et que l’incipit a été précédé d’un « Avis de l’auteur » où il précise le but moral recherché par l’« addition » que constitue le récit de ces « aventures de fortune et d’amour ». 

Renoncour vient d’arriver à Pacy, en Normandie, et il assiste à une scène de foule. Un archer lui apprend que les villageois sont intéressés par le transport d’une « douzaine de filles de joie » qu’on mène au Havre-de-Grâce pour les embarquer en Amérique. Une « vieille femme » attire son attention sur la tristesse de ce spectacle. 

Commence alors l’extrait : le lecteur est associé au regard de Renoncour, guidé par la « curiosité ». Il se fraye un chemin « avec peine, en perçant la foule » et nous présente ce qu’il voit, en donnant raison à la vieille dame sur le caractère « assez touchant » du spectacle. 

Il s’agit d’une chaîne de prostituées au nombre de douze et de manière immédiate, l’une d’elle se détache grâce à son apparence : « il y en avait une dont l’air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu’en tout autre état je l’eusse prise pour une personne de premier rang. » 

Manon, future héroïne du roman mais encore non nommée dans cet incipit, se distingue donc instantanément du groupe auquel elle appartient : en cela elle est déjà une héroïne marginale. 

Sa distinction est un fait physique : son « air » et sa « figure » évoquent une aristocrate et non une fille de joie destinée à la déportation. Elle est donc en décalage total avec sa « condition », autre forme de marginalité. 

Sa beauté remarquable n’est amoindrie ni par « sa tristesse » ni par « la saleté de son linge » et Renoncour présente comme une conséquence (« l’enlaidissaient si peu que sa vue… » : proposition subordonnée de conséquence ) le fait d’éprouver « du respect et de la pitié ». 

Une autre attitude de Manon confirme son statut exceptionnel : elle cherche à « dérober son visage aux yeux des spectateurs », ce que le narrateur associe, à nouveau à l’aide d’une proposition subordonnée circonstancielle de conséquence, à un « sentiment de modestie », qui s’apparente à de la pudeur, qualité prisée moralement. 

Cette pudeur supposée est totalement inattendue de la part d’une prostituée, ce qui renforce le caractère marginal de la future héroïne. 

Renoncour, toujours guidé par sa curiosité, cherche à en savoir plus et demande au chef des gardes « quelques lumières sur le sort de cette belle fille. »

Commence un passage de paroles rapportées au discours direct, sans guillemets mais avec incise (« me dit-il ») qui se poursuit sur plusieurs lignes jusqu’à la fin du mouvement : « Il faut que ce soit son frère ou son amant ». Cela donne du naturel au texte, qui multiplie les angles pour faire découvrir les personnages. 

Renoncour délègue donc la parole à l’archer qui rapporte quelques faits et livre son opinion. 

Regardant les faits objectifs, il rapporte qu’elle a été « tirée de l’Hôpital, […] par ordre de M. le Lieutenant général de Police. » L’Hôpital est en effet à l’époque un lieu d’enfermement, notamment pour les prostituées et les vagabonds. 

Il se livre ensuite à une remarque ironique : « Il n’y a pas d’apparence qu’elle y eût été renfermée pour ses bonnes actions », litote pour signifier qu’elle s’est rendue coupable de ce dont on l’accuse. 

Le garde souligne son attitude silencieuse, justifiant ainsi son peu de renseignements sur la jeune fille. 

Lui aussi juge Manon remarquable (à l’instar de Renoncour) et précise qu’il a « quelques égards pour elle, parce qu’il [lui] semble qu’elle vaut un peu mieux que ses compagnes. » Il lui réserve donc un traitement de faveur associé là encore à une apparence supérieure.

Il rejoint donc l’opinion que Renoncour a confiée au lecteur sur l’air de noblesse de Manon. 

Pour assouvir la curiosité de Renoncour, le garde le renvoie à « un jeune homme » qui saura « l’instruire mieux […] sur la cause de sa disgrâce. » 

Du point de vue de la narration, le procédé est habile et ménage une forme de suspense : Renoncour ne sait rien de Manon, le garde un peu plus et « le jeune homme « qui l’a suivie depuis Paris, sans cesser presque un moment de pleurer » doit en savoir plus encore. 

Le garde ne connaît pas non plus l’identité du jeune homme qu’il pense être « son frère ou son amant. » 

C’est alors que Renoncour livre une description du futur héros et rapporte le dialogue qu’il a avec lui. 

Analyse linéaire incipit Manon Lescaut : description du chevalier des Grieux

Renoncour se tourne alors « vers le coin de la chambre où ce jeune homme était assis ». S’ensuit un passage de description qui mêle à nouveau des données objectives et des opinions du narrateur. 

Des Grieux paraît au premier abord comme « enseveli dans une rêverie profonde » : c’est une attitude mélancolique, rendue hyperbolique par le commentaire de Renoncour : « Je n’ai jamais vu de plus vive image de la douleur ». Cette remarque est destinée à susciter la pitié du lecteur. 

L’image de prostration de des Grieux semble s’imprimer dans la tête du narrateur et renforcer le caractère pathétique de la scène. 

Une remarque purement descriptive intervient ensuite : « Il était mis fort simplement », suivie d’un commentaire au présent (qui renvoie au moment de l’écriture ainsi qu’à une vérité générale) : « mais on distingue, au premier coup d’œil, un homme qui a de la naissance et de l’éducation. » 

Exactement comme la jeune femme, le jeune homme se distingue du contexte dans lequel il apparaît : lui aussi est exceptionnel et marqué par une marginalité positive. 

Le narrateur s’approche et le jeune homme, qui a effectivement de l’éducation, se lève, ce qui permet à Renoncour de le voir de plus près et de le conforter dans sa bonne impression : « et je découvris dans ses yeux, dans sa figure et dans tous ses mouvements, un air si fin et si noble que je me sentis porté naturellement à lui vouloir du bien. » 

Comme dans le portrait de Manon, on relève l’emploi d’une proposition subordonnée circonstancielle de conséquence qui présente comme un enchaînement logique, entraîné par la noble allure du jeune homme, l’intérêt bienveillant que lui porte le narrateur. 

Un dialogue s’engage alors, initié par Renoncour qui s’exprime avec délicatesse pour demander des renseignements sur la « belle personne » remarquée précédemment. Ce dialogue distingué est en contradiction avec le contexte et la situation. 

Il est à nouveau question, comme au début de l’extrait, de « satisfaire » une « curiosité » qui vient relayer celle du lecteur de découvrir les futurs protagonistes du roman. 

Le narrateur évoque cette fois auprès de des Grieux le décalage entre l’apparence de la jeune femme et « le triste état » où il la voit, ce fait justifiant la volonté d’avoir plus d’informations. 

Des Grieux répond « honnêtement » : l’adverbe n’est pas choisi au hasard car l’ « honnête homme », héritage de l’âge classique, est un homme courtois et de qualité, plus encore qu’un homme sincère. Cela confirme donc son statut supérieur. 

Les paroles du chevalier sont rapportées au style indirect et présentent un raisonnement destiné à justifier sa volonté de « demeurer inconnu ». Mais il affirme son lien indéfectible avec la jeune femme, dont il ne peut révéler qui elle est « sans se faire connaître lui-même. » Les deux personnages sont liés et expliquer qui est l’un demande d’expliquer qui est l’autre. 

Mais s’il reste « inconnu », la curiosité de Renoncour (et du lecteur) ne sera pas satisfaite. Le passage étudié prend fin ici mais des Grieux donne quand même quelques éléments d’explication à cette situation mystérieuse découverte par Renoncour. 

Conclusion de l’analyse linéaire de incipit Manon Lescaut

Rappel du développement

Ce passage structuré en deux parties met le lecteur en présence d’une situation mystérieuse et pathétique : nous découvrons successivement la belle Manon, prostituée enchaînée et pudique destinée à la déportation, puis le chevalier des Grieux, qui a toutes les apparences d’un homme de qualité et qui incarne « une vive image de la douleur ». 

Réponse à la problématique

On se posait la question suivante : en quoi cet incipit centré sur la présentation des futurs protagonistes de l’histoire les présente-t-il comme en décalage avec leur situation, de manière à créer du mystère et à susciter de la compassion ? 

Pour répondre à cette question, nous pouvons mettre en relief l’habileté de ce début de roman, qui commence par la fin.

Nous sommes placés devant une énigme : deux personnages distingués et de très bonne allure ne coïncident pas avec leur situation dégradante et apparaissent comme en marge de ce qui leur arrive.

On souhaite donc en savoir davantage sur ce qui les a menés là, d’autant que tout est fait dans cette présentation pathétique pour que l’on s’attache à eux et qu’on les considère avec bienveillance, comme Renoncour le fait lui-même.

Finalement, l’incipit crée paradoxalement plus de mystère qu’il n’apporte de réponses. 

Ouverture

L’extrait étudié n’englobe pas la totalité du discours de des Grieux, qui révèle bien vite qu’il aime Manon « avec une passion si violente qu’elle [le] rend le plus infortuné de tous les hommes. »

Le lien qui unit les deux protagonistes est donc clarifié et Renoncour (ainsi que le lecteur) veut désormais en connaître plus sur « cette aventure des plus extraordinaires et des plus touchantes ».

Néanmoins, il devra attendre une autre rencontre, deux ans plus tard à Calais, pour avoir le récit complet du « jeune aventurier » à qui il va déléguer la fonction de narrateur. 

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