Décrochez le 20/20 à l’oral du bac de français en révisant avec cette analyse linéaire de la scène du souper interrompu dans le roman Manon Lescaut de l’Abbé Prévost ! 

Dans ce passage, Des Grieux narre le repas qu’il partage avec Manon après avoir découvert que cette dernière l’avait trahi en le trompant avec M. de B, riche fermier général.

L’analyse présentée ici propose un cadre que vous pouvez suivre et reproduire lors de l’épreuve anticipée de français. Vous pouvez bien entendu modifier la problématique, ou certaines analyses à votre convenance.

Avant de commencer à lire cette analyse, n’hésitez pas à vous reporter à mon article “comment analyser un texte en français” et à ma “méthode de l’explication linéaire” pour mieux comprendre ma démarche.

Présentation de l’auteur

Manon Lescaut, La Mort de Manon : Analyse Linéaire (Bac 2023)

Il ne faut pas se laisser abuser par le titre d’abbé par lequel on désigne couramment Antoine François Prévost d’Exiles. Sa vie est bien loin de l’image du sage religieux, retranché dans son abbaye. 

Né en 1697 dans une famille noble, il est d’abord tenté par la religion et suit une éducation jésuite, mais la fougue de la jeunesse le rattrape et il s’essaie à une carrière militaire. Essai infructueux puisqu’il revient rapidement à l’état de religieux.

Cependant, l’envie de vivre sans contrainte le rattrape encore et il quitte l’habit, pour le retrouver bien vite à la suite d’une rupture difficile. 

Finalement, il renonce définitivement à la vie religieuse et s’enfuit, en Hollande, puis en Angleterre. Il vivra une vie de voyages, de littérature et de salons. Sa popularité lui permettra de revenir en France en 1734 où il reprendra régulièrement l’habit, tout en quittant monastères et abbayes à sa discrétion. 

Il meurt en 1763, écrasé par les dettes.

Il est notamment l’auteur des Aventures et Mémoires d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, ensemble de romans dont Manon Lescaut est le 7ème et dernier volume.

Présentation de l’œuvre

Le Roman Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, publié en 1731 et habituellement désigné simplement sous le titre de Manon Lescaut, raconte l’histoire d’amour et les aventures de Manon Lescaut et de Des Grieux, entraînés dans une marginalisation et une déchéance progressives.

Présentation du passage

Après le coup de foudre de la première rencontre, Des Grieux a emmené Manon vivre à Paris pour la sauver du couvent. Les deux jeunes gens se retrouvent rapidement sans argent et Manon trompe Des Grieux avec un homme riche. C’est la première trahison d’une longue série.

Le passage présente un Des Grieux sûr de la bonne foi de Manon, lorsque cette dernière a déjà prévu de faire enlever le jeune homme par sa famille pour le renvoyer à Saint-Denis.

Problématique 

Nous nous demanderons comment le narrateur Des Grieux analyse rétrospectivement son aveuglement dans cette scène théâtrale.

Plan 

Pour mener cette analyse linéaire de la scène du souper interrompu de Manon Lescaut, nous suivrons les mouvements du texte.

  1. Un Des Grieux plein d’espoir de “Je me remplis” à “tout ce qui s’était passé” ;
  2. Un repas silencieux de “On nous servit à souper” à “Perfides larmes !” ;
  3. La crise de larmes de “Ah Dieux !” à “de ma douleur et de ma crainte.”
  4. L’interruption dramatique du repas de “Dans le temps” à la fin du passage.

Analyse Linéaire du Souper Interrompu dans Manon Lescaut : Texte

“Je me remplis si fortement de cette opinion, qu’elle eut la force de diminuer beaucoup ma tristesse. Je retournai sur-le-champ au logis. J’embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire. Elle me reçut fort bien. J’étais tenté d’abord de lui découvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines ; je me retins, dans l’espérance qu’il lui arriverait peut-être de me prévenir, en m’apprenant tout ce qui s’était passé. On nous servit à souper. Je me mis à table d’un air fort gai ; mais à la lumière de la chandelle qui était entre elle et moi, je crus apercevoir de la tristesse sur le visage et dans les yeux de ma chère maîtresse. Cette pensée m’en inspira aussi. Je remarquai que ses regards s’attachaient sur moi d’une autre façon qu’ils n’avaient accoutumé. Je ne pouvais démêler si c’était de l’amour ou de la compassion, quoiqu’il me parût que c’était un sentiment doux et languissant. Je la regardai avec la même attention ; et peut-être n’avait-elle pas moins de peine à juger de la situation de mon cœur par mes regards. Nous ne pensions ni à parler, ni à manger. Enfin, je vis tomber des larmes de ses beaux yeux : perfides larmes ! Ah Dieux ! m’écriai-je, vous pleurez, ma chère Manon ; vous êtes affligée jusqu’à pleurer, et vous ne me dites pas un seul mot de vos peines.

    Elle ne me répondit que par quelques soupirs qui augmentèrent mon inquiétude. Je me levai en tremblant. Je la conjurai, avec tous les empressements de l’amour, de me découvrir le sujet de ses pleurs ; j’en versai moi-même en essuyant les siens ; j’étais plus mort que vif. Un barbare aurait été attendri des témoignages de ma douleur et de ma crainte. Dans le temps que j’étais ainsi tout occupé d’elle, j’entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l’escalier. On frappa doucement à la porte. Manon me donna un baiser, et s’échappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet, qu’elle ferma aussitôt sur elle. Je me figurai qu’étant un peu en désordre, elle voulait se cacher aux yeux des étrangers qui avaient frappé. J’allai leur ouvrir moi-même. A peine avais-je ouvert, que je me vis saisir par trois hommes, que je reconnus pour les laquais de mon père. Ils ne me firent point de violence ; mais deux d’entre eux m’ayant pris par le bras, le troisième visita mes poches, dont il tira un petit couteau qui était le seul fer que j’eusse sur moi. Ils me demandèrent pardon de la nécessité où ils étaient de me manquer de respect ; ils me dirent naturellement qu’ils agissaient par l’ordre de mon père, et que mon frère aîné m’attendait en bas dans un carrosse. J’étais si troublé, que je me laissai conduire sans résister et sans répondre. Mon frère était effectivement à m’attendre. On me mit dans le carrosse, auprès de lui, et le cocher, qui avait ses ordres, nous conduisit à grand train jusqu’à Saint-Denis. Mon frère m’embrassa tendrement, mais il ne me parla point, de sorte que j’eus tout le loisir dont j’avais besoin, pour rêver à mon infortune. “

Le Souper Interrompu dans Manon Lescaut : Analyse Linéaire

Un Des Grieux plein d’espoir – Analyse Linéaire du Souper Interrompu de Manon Lescaut

Au début de l’extrait, Des Grieux a appris que Manon fréquente un certain M. de B.

Toujours prêt à pardonner à Manon, le jeune homme s’est convaincu qu’elle ne le trompait pas, mais que M. de B. n’était qu’un intermédiaire entre la jeune femme et sa famille pour faire passer de l’argent.

Aussi, la scène s’ouvre-t-elle sur une note positive. Des Grieux exprime par un système causal sa foi en Manon “Je me remplis si fortement de cette opinion qu’elle eut la force de diminuer de beaucoup ma tristesse”.

Le lecteur peut déjà commencer à ne plus penser comme le personnage. La narration sous la forme d’un retour réflexif du personnage sur son passé prend donc tout son sens : il ne fait pas que raconter, mais cherche à expliquer au lecteur les sentiments qui l’ont mené là où il se trouve.

L’espoir aveugle de Des Grieux peut encore être lu dans l’adverbe “sur-le-champ”. On comprend que s’étant rapidement convaincu de l’innocence de Manon, il souhaite la retrouver au plus vite.

La scène qui débute par “J’embrassais Manon avec ma tendresse ordinaire” n’a alors rien d’une explication entre une femme et son amant trompé.

Des Grieux cherche au contraire à apaiser la dispute avant même son commencement, à tourner la page pour éviter de pénibles explications.

L’adjectif “ordinaire” souligne l’importance pour Des Grieux de ne pas marquer son inquiétude auprès de Manon.

Le jeune homme est d’ailleurs bien accueilli par Manon : “Elle me reçut fort bien.”

Seul présage des événements à venir : la brièveté des phrases qui semblent affirmer que le narrateur passe certains détails au lecteur pour rapidement en venir à la suite du souper.

À la triade de phrases simples et courtes succède une longue phrase complexe :

“J’étais tenté d’abord de lui découvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines ; je me retins, dans l’espérance qu’il lui arriverait peut-être de me prévenir, en m’apprenant tout ce qui s’était passé.”

On note que si la situation est d’apparence simple, les pensées et hésitations de Des Grieux sont bien plus hésitantes.

Le lexique de l’espoir marque les paroles du narrateur : “conjectures” ; “certaines” ; “espérance” ; “peut-être”.

La première subordonnée relative “que je regardais plus que jamais comme certaines” n’a d’ailleurs pour fonction que de venir renforcer le degré de certitude des conjectures, et donc de souligner l’aveuglement de Des Grieux.

Pourtant, l’emploi des temps, du plus-que-parfait “j’avais tenté” au passé simple “je me retins” apporte bien un doute : Des Grieux n’est pas prêt à offrir de solution à Manon, il voudrait qu’elle se justifie d’abord.

D’ailleurs, le modalisateur “peut-être” et le conditionnel “m’apprendrait” dans sa deuxième partie de phrase montrent qu’il n’est pas certain que Manon dise la vérité.

Dans cette scène, la narration s’attarde grandement, a posteriori, sur les pensées et sentiments de Des Grieux, ce qui a pour effet de retarder les événements de la suite du souper.

Un repas silencieux – Analyse Linéaire du Souper Interrompu de Manon Lescaut

De manière assez théâtrale, les pensées de Des Grieux sont prosaïquement interrompues par le service du souper : “on nous servit à souper”.

C’est le début d’une scène pesante par les effets de dissimulation venant des deux amants.

D’abord, Des Grieux, dont, comme on l’a vu, les pensées sont saturées par des questions, se donne un “air fort gai”.

Manon, elle aussi l’esprit encombré, non par ce qui s’est passé, mais ce qui va venir, a de “la tristesse sur le visage”.

Une antithèse entre “fort gai” et “tristesse” oppose les deux amants, sans qu’une parole ait besoin d’être prononcée.

D’ailleurs, tout ce début de repas repose sur le regard, et non sur la parole.

On peut souligner le champ lexical du regard : “je remarquai” ; “ses regards” ; “je regardai” ; “je vis”.

C’est grâce à un éclairage théâtral, “la lumière de la chandelle”, que Des Grieux détecte la tristesse de Manon : “je crus apercevoir”.

On note d’une part la double modalisation exprimée par deux verbes à faible degré de certitude : croire et apercevoir.

D’autre part, le choix du verbe “apercevoir” suggère que Des Grieux doit observer Manon avec le plus d’attention possible pour percer le masque qu’elle revêt.

En effet, pour lui, elle est toujours “ma chère maîtresse”. Cette tournure très tendre rappelle l’amour du jeune homme, le fait qu’il n’est pas encore prêt à l’accuser sans preuve.

Voyant Manon triste, Des Grieux partage son sentiment : “Cette pensée m’en inspira aussi”. Le narrateur rappelle donc au lecteur à quel point les sentiments de Des Grieux sont corrélés à ceux de Manon.

Toujours penché sur son analyse de la physionomie de Manon, Des Grieux remarque une différence : “Je remarquai que ses regards s’attachaient sur moi d’une autre façon qu’ils n’avaient accoutumé.”

Ce jeu d’observation des deux amants permet à Des Grieux d’annoncer subtilement au lecteur le retournement de situation qui se prépare.

Pourtant, la dissimulation continue de l’emporter, et le jeune homme ne comprend pas la raison de ce changement de physionomie chez Manon.

On remarque la négation “je ne pouvais démêler” qui souligne le mystère de la situation. Le narrateur crée ici volontiers un effet d’attente pour partager ses sentiments exacts avec le lecteur.

L’hésitation entre “amour” et “compassion” rappelle au lecteur que Des Grieux veut toujours se convaincre de l’amour de Manon. Aussi, même face à un changement d’attitude, il espère encore lire l’amour dans ses regards.

Pourtant, le doute s’empare du jeune homme de manière progressive, en témoigne la périphrase “un sentiment doux et languissant”.

Se rendant compte qu’il ne peut pas nommer exactement le sentiment de Manon, il cherche à le décrire selon sa propre grille de lecture. En d’autres termes, il voudrait pouvoir affirmer que Manon ressent la même chose que lui.

Cependant, la communication verbale reste absente, et l’intensité du jeu de regard augmente : “Je la regardai avec la même attention ; et peut-être n’avait-elle pas moins de peine à juger de la situation de mon cœur par mes regards”.

Cette phrase nous montre que les deux personnages se fixent, mais qu’aucun des deux n’arrive à lire chez l’autre. La communication est rompue, chacun essaye d’analyser l’autre, sans y parvenir.

Le modalisateur “peut-être” rappelle la difficulté pour Des Grieux quand aucune parole ne vient confirmer ses inférences.

La tension est palpable à tel point que le temps semble s’arrêter au travers de cette double négation : “nous ne pensions ni à parler, ni à manger”.

Le presque badinage du début du souper se mue en une forme d’adversité. Les deux amants ne se quittent plus des yeux, ils cherchent à se démasquer mutuellement.

La tension accumulée se relâche, aussi bien pour les personnages que pour le lecteur, à l’arrivée de l’adverbe “Enfin”.

Manon est submergée par ses sentiments et commence à pleurer : “je vis tomber des larmes de ses beaux yeux : perfides larmes !”

La perception de Des Grieux change immédiatement, il est attendri par la tristesse de Manon.

On note le groupe nominal “beaux yeux” qui remet l’amour et l’admiration au centre du récit.

Des Grieux semble d’ailleurs désarmé. Il ne cherche plus à lire la physionomie de Manon, mais partage sa peine. Le registre pathétique est utilisé avec l’exclamation “perfides larmes !”

La personnification des larmes par l’adjectif péjoratif “perfides” souligne que la rancœur de Des Grieux se tourne tout entière contre la tristesse de Manon : il ne cherche plus à obtenir la vérité, seulement à consoler celle qu’il aime.

Ainsi, les pleurs de Manon mettent fin à la tension en détournant les inquiétudes de Des Grieux, qui retombe à la merci de sa maîtresse.

La crise de larmes – Analyse Linéaire du Souper Interrompu de Manon Lescaut

L’interjection forte : “Ah Dieux !” marque le saisissement de Des Grieux. Il est bouleversé par les larmes de sa maîtresse.

Les paroles rapportées au discours direct sont marquées par la répétition du verbe “pleurez” ; “pleurer” et par l’incise “ma chère Manon”. La priorité pour le jeune homme est maintenant de calmer sa maîtresse.

Le début de cette crise de larmes n’est pas sans rappeler le théâtre tragique. D’abord, l’invocation des “Dieux” notons le pluriel, Des Grieux n’en réfère pas ici au Dieu des monothéistes, puis la modalité exclamative utilisée.

Enfin, les hyperboles “affligée” et “peines” peuvent rappeler la souffrance des héroïnes tragiques.

Dans Manon Lescaut, le théâtre n’est jamais loin, et il est possible à plusieurs reprises de souligner l’emploi du registre tragique.

Le second paragraphe voit aux larmes succéder les “soupirs”. Le personnage de Manon apparaît ici bien théâtral, toujours incapable de dire un mot, submergé par ses émotions.

Face à l’émoi de Manon, le jeune homme est pris lui-même de panique. La succession des propositions se fait plus erratique :

“Je me levai en tremblant. Je la conjurai, avec tous les empressements de l’amour, de me découvrir le sujet de ses pleurs ; j’en versai moi-même en essuyant les siens ; j’étais plus mort que vif.”

Le gérondif “en tremblant” souligne l’atteinte physique du jeune homme. Les deux amants peinent à gérer leurs émotions : Manon est incapable de parler, Des Grieux tremble comme une feuille.

L’agitation de Des Grieux est montrée par l’asyndète dans cette phrase : les propositions sont toutes juxtaposées sans mot de liaison, ce qui donne un effet de vitesse, d’empressement.

Très vite, Des Grieux n’est plus capable, lui non plus de parler, car il tombe en larmes comme Manon : “j’en versais moi-même”.

Finalement, l’antithèse de la fin de la phrase : “j’étais plus mort que vif”, également teintée d’hyperbole, atteste la force de l’emprise inconsciente de Manon sur Des Grieux. Elle préside à sa vie.

Pour poser des mots sur ses sentiments, Des Grieux utilise le conditionnel passé : “Un barbare aurait été attendri des témoignages de ma douleur et de ma crainte”.

La référence au barbare n’est pas inoffensive, on apprend en effet plus tard que Manon, qui conspire depuis le début, n’était pas à ce moment attendrie par le jeune homme.

C’est ici une image forte : Manon, la “chère maîtresse” aux “beaux yeux” peut aussi être un barbare, qui pille et saccage les sentiments de celui qui l’aime.

La dissimulation est donc toujours de mise du côté de Manon qui sait utiliser ses attraits et l’amour de Des Grieux pour l’empêcher d’analyser la situation.

L’interruption dramatique du souper – Analyse Linéaire du Souper Interrompu de Manon Lescaut

C’est au moment où il est le plus vulnérable que Des Grieux est frappé.

“Dans le temps que j’étais ainsi tout occupé d’elle, j’entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l’escalier”

Le complément circonstanciel de temps souligne la simultanéité entre l’arrivée de personnes inattendues et le moment où toute son attention est portée sur Manon.

Le verbe au passé simple “j’entendis” et le groupe nominal “plusieurs personnes qui montaient l’escalier” viennent bouleverser la situation.

Une fois de plus, le fait que Des Grieux soit interrompu donne un côté théâtral à la scène.

La crise de larmes laisse place à une narration plus dynamique, le lecteur, comme Des Grieux lors des événements, ne sait pas ce qui se passe : “On frappa doucement à la porte”. Ici, le pronom “on” a valeur d’indéfini et renforce le mystère.

Subitement Manon sort de sa crise de larmes et part se cacher : “Manon me donna un baiser, et s’échappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet, qu’elle ferma aussitôt sur elle.”

D’abord, le baiser semble peu honnête. Il invite même à relire la personnification “perfides larmes” comme une hypallage : les larmes ne sont pas perfides, mais Manon l’est.

Ainsi, ce baiser est celui de la trahison.

Il semble très probable que Manon ait simulé toutes ses larmes au regard du dynamisme dont elle fait soudain preuve, souligné par les deux adverbes “rapidement” ; “aussitôt”.

Le choix du verbe “s’échappant” est intéressant, il suggère que Manon cherche à s’émanciper de l’emprise de Des Grieux alors que c’est plutôt elle qui le tient en son pouvoir.

En effet, Des Grieux reste aveugle à l’accumulation des signes en la défaveur de Manon et continue de lui trouver des excuses : “Je me figurai qu’étant un peu en désordre, elle voulait se cacher aux yeux des étrangers qui avaient frappé.”

Lorsqu’il imagine Manon comme un être plus empli de pudeur que de perfidie, Des Grieux montre au lecteur à quel point il est aveuglé par son amour.

Les phrases suivantes sont marquées par une accélération du rythme : “J’allai leur ouvrir moi-même” est une proposition courte, immédiatement suivie par la locution adverbiale “À peine” qui change complètement la tonalité du passage.

Les sentiments laissent place à l’action directe. La tournure passive “je me vis saisir par trois hommes” fait comprendre brusquement au lecteur que Des Grieux est victime d’un piège.

Rapidement désarmé : “le troisième visita mes poches, dont il tira un petit couteau qui était le seul fer que j’eusse sur moi”, Des Grieux ne fait que subir l’enlèvement dont il est victime, comme le montrent toutes les constructions passives.

Comme le lecteur, Des Grieux est sidéré par ce qui lui arrive et la tournure qu’ont prise les événements : “J’étais si troublé, que je me laissai conduire sans résister et sans répondre.”

Les compléments circonstanciels de manière “sans résister et sans répondre”, construits en parallélisme, insistent sur la passivité de Des Grieux, bouleversé par les événements.

Pourtant, le jeune homme est en sécurité car il reconnaît “les laquais de son père” qui l’enlèvent et ces derniers ne lui font “point de violence”, lui demandent même “pardon”.

Le lecteur est surpris de voir apparaître le frère de Des Grieux à la fin de cette scène qui débutait comme une scène intime : “Mon frère était effectivement à m’attendre.”

Cette attente du frère permet de comprendre que l’enlèvement était minutieusement organisé, et explique donc l’attitude de Manon, qui savait qui frappait à la porte.

Le baiser du frère de Des Grieux : “Mon frère m’embrassa tendrement” s’oppose au baiser de Manon avant sa sortie.

Un rappel au lecteur que la famille du personnage veut son bien de manière désintéressée, mais qu’il va sans cesse lui préférer Manon, malgré ses nombreuses trahisons.

L’antithèse finale entre le rêve et l’infortune : “j’eus tout le loisir dont j’avais besoin, pour rêver à mon infortune” met en valeur l’attachement de Des Grieux à Manon.

En effet, il préfère rêver à un futur plein d’infortunes avec elle que de rester en sécurité auprès de sa famille.

On sait donc déjà que sa marginalisation avec Manon est inéluctable et sa famille ne parviendra pas à l’en extraire.

Conclusion de l’analyse linéaire du Souper Interrompu dans Manon Lescaut

Rappel du développement

Nous avons pu voir se manifester sous toutes ses formes l’aveuglement de Des Grieux par rapport à Manon dans ce passage.

Victime avant tout de sa naïveté face aux “perfides larmes” de celle qu’il aime, le jeune homme est déjà trop sous emprise pour voir un sauvetage dans son enlèvement par sa famille.

Réponse à la problématique 

On se posait la question suivante : comment le narrateur Des Grieux analyse rétrospectivement son aveuglement dans cette scène théâtrale?

Pour répondre à cette question, on peut affirmer que le narrateur met en lumière tous les mécanismes de manipulation de Manon et le lien entre sa fuite et l’enlèvement qui termine la scène à la manière d’un coup de théâtre.

Cependant, il n’a de cesse de rappeler qu’au moment, il ne comprenait pas toutes ces choses et qu’il était focalisé sur ses sentiments, comme aveuglé par son amour.

C’est donc cette dichotomie entre une narration factuelle des événements du souper interrompu et une analyse précise a posteriori des sentiments ressentis qui explique au lecteur l’aveuglement de Des Grieux par rapport à Manon.

Ouverture

Le caractère tragique du destin de Manon et Des Grieux était mis en valeur dès la scène de leur rencontre.

Il est donc intéressant de mettre en perspective cette scène de souper, où l’on voit le personnage presque sauvé en étant emmené loin de Manon, avec la scène de la rencontre et celle de la mort de Manon qui voit s’accomplir le destin implacable des personnages de ce roman/tragédie.

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