Bienvenue dans cette analyse linéaire du portrait de Gnathon dans Les Caractères de La Bruyère.

Ce portrait satirique situé dans le chapitre “De l’Homme” des Caractères permet à La Bruyère de critiquer les inégalités importantes à son époque : la seconde moitié du XVIIe siècle.

Dans cet article, je vous offre une analyse linéaire complète et détaillée du portrait pour vous aider à bien vous préparer.

L’analyse présentée ici propose un cadre que vous pouvez suivre et reproduire lors de l’épreuve anticipée de français. Vous pouvez bien entendu modifier la problématique, ou certaines analyses à votre convenance.

Avant de commencer à lire cette analyse, n’hésitez pas à vous reporter à mon article “comment analyser un texte en français” et à ma “méthode de l’explication linéaire” pour mieux comprendre ma démarche.

Introduction de l’analyse linéaire du portrait de Gnathon des Caractères de La Bruyère

Phrase d’accroche

L’époque classique est caractérisée par une recherche de mesure et d’équilibre. Cette perfection visée est représentée par l’idéal de l’honnête homme. Pourtant, peu nombreux sont ceux qui parviennent ou même cherchent à se conformer à cet idéal d’homme courageux, courtois, généreux et humble.

Bien au contraire, les apparences comptent plus que tout, et dans les cercles supérieurs de la société, tous les procédés sont bons pour conquérir et garder sa place. Imaginer une société de partage et d’égalité ? Impossible. En témoigne le comportement de l’ignoble Gnathon.

Présentation de l’auteur

Portrait d'Arrias, La Bruyère : Analyse Linéaire (Bac 2024)

Jean de La Bruyère est né en 1645 à Paris et mort un peu plus de 50 ans plus tard, en 1696, à Versailles.

Après des études pour devenir avocat, il utilise son héritage afin d’acheter un office de trésorier des finances. C’est ce travail qui lui permettra de vivre confortablement et calmement jusqu’à ses quarante ans.

Il devient ensuite précepteur pour l’illustre maison de Condé, au service du Duc de Bourbon qu’il accompagne jusqu’à ses 18 ans. Une fois l’éducation du jeune homme terminée, La Bruyère demeure au service de la maison de Condé en tant que “gentilhomme ordinaire de Monsieur le Duc”.

C’est cette expérience au service de la grande noblesse qui lui permet d’observer les strates les plus hautes de la société de son époque.

Présentation de l’œuvre

Si l’on retient le nom de La Bruyère aujourd’hui, ce n’est ni pour son office de trésorier des finances ni pour son rôle de précepteur du Duc de Bourbon. Ce qui a permis à La Bruyère de demeurer un illustre moraliste, c’est son unique œuvre littéraire : Les Caractères.

Il s’agit à l’origine d’une traduction des caractères de Théophraste accompagnée de remarques et portraits sur les mœurs du XVIIe siècle.

En effet, La Bruyère est un partisan des anciens dans la querelle des anciens et des modernes, et soutient donc l’idée que la grandeur littéraire se trouve dans l’imitation des auteurs antiques.

Il prend cependant la liberté d’ajouter ses propres remarques et maximes à l’ouvrage traduit. Son grand apport, en plus du regard lucide qu’il porte sur ses contemporains, c’est la finesse de son style.

Qui est Gnathon ?

Gnathon, dont le nom signifie “mâchoire” en Grec, est un personnage dégoûtant, qui s’empiffre sans rien vouloir laisser aux autres. Allégorie de l’égoïsme et de l’égocentrisme, il représente également l’accaparement de toutes les richesses par une petite partie de la société. 

Problématique

Pour guider notre explication du portrait, nous nous demanderons comment le personnage de Gnathon permet à La Bruyère de dresser un anti-portrait de l’honnête homme.

Plan

Pour mener cette analyse linéaire du portrait de Gnathon de La Bruyère, nous suivrons les deux principaux mouvements du texte. 

Le premier mouvement, du début de l’extrait à “continue à manger” présente le glouton Gnathon et son comportement dégoûtant à table

Le second mouvement, de “Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d’établissement” à la fin de l’extrait, élargit le portrait pour montrer que l’égoïsme de Gnathon ne se limite pas à la table.

Portrait de Gnathon, Les Caractères de La Bruyère : Texte pour l’analyse linéaire

Gnathon

    Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre de chaque service : il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d’établissement, et ne souffre pas d’être plus pressé au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n’y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S’il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes, équipages. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain.

Portrait de Gnathon, Les Caractères de La Bruyère : Analyse linéaire

Portrait de Gnathon analyse linéaire : Gnathon, un glouton à table 

Introduction de Gnathon

Le personnage de Gnathon aime être au centre de l’attention. Aussi, au début du texte, son nom est le premier mot à apparaître.

Le texte se ferme sur le groupe nominal “genre humain”, ce qui crée une comparaison sarcastique. Ainsi, on peut déjà ressentir que pour Gnathon, son importance est équivalente à celle de tout le genre humain.

Cette importance excessive que s’attribue le personnage est confirmée par la première proposition : “Gnathon ne vit que pour soi”. Ici la négation restrictive souligne qu’il ne s’intéresse absolument pas aux autres.

La Bruyère confirme cet égocentrisme par l’hyperbole “tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point”.

On peut également noter dans cette phrase d’introduction, la première apparition d’un déterminant possessif : “son égard”. On en retrouvera ensuite pas moins de cinq dans le premier mouvement, ce qui insiste sur le fait que Gnathon vit pour ses possessions.

Gnathon à table

Avant d’évoquer précisément Gnathon, remarquons l’utilisation du lexique du repas dans la première partie de l’extrait, de manière presque indigeste, par La Bruyère : “table” ; “repas” ; “plat” ; “service” ; “mets” ; “savourer” ; “viandes” ; “manger, mangent” ; “restes” ; “appétit” ; “affamés” ; “jus” ; “sauces” ; “ragoût” ; “plat” ; “nappe” ; “mange” ; “mangeant” ; “table” ; “dents” ; “manger”;

Cette insistance sur le vocabulaire de la nourriture et du repas peut mimer l’appétit sans fin et la goinfrerie de Gnathon, et par là même écœurer le lecteur.

À table comme dans la vie en général, Gnathon veut être vu ; occuper “la première place”. Pour cela, il est prêt à empiéter sur les autres, en témoigne l’opposition “il occupe à lui seul celle de deux autres”.

L’opposition entre le pronom “lui” et le collectif (“deux autres” ; “toute la compagnie” ; “les conviés” ; “leur”) est fréquente et permet de renforcer le sentiment d’importance et de supériorité de Gnathon.

Remarquons également que dans la longue phrase juxtaposée de “non content” à “tout à la fois”, chaque proposition débute par le pronom personnel “il”, ce qui met l’égocentrisme de Gnathon en lumière.

Dès que Gnathon se trouve face au plat, une description animalisante commence.

D’abord le portrait est civilisé, il est “maître du plat” et “fait son propre de chaque service”. Ici l’homophonie entre “son propre” et l’adjectif “propre” joue en la faveur du personnage.

Pourtant, tout le jeu de l’auteur est justement de détromper le lecteur en ridiculisant le mangeur.

La première image est celle d’un goinfre mettant la main à chaque plat : “il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous”. Ici l’antithèse entre “aucun” et “tous” renforce le caractère frappant de l’image.

La répétition de “tous” et “tout” (pronom et adverbe) dans “les savourer tous tout à la fois” est comique. D’une part l’empressement de Gnathon est moqué par cet enchaînement volontairement maladroit, d’autre part, le verbe “savourer” est utilisé ironiquement par La Bruyère.

En effet, on voit que Gnathon fait tout sauf savourer sa nourriture. Dès la phrase suivante, il est dépeint se servant avec ses mains : “il ne se sert à table que de ses mains”. Ce peu de manières s’oppose radicalement à l’idéal de l’honnête homme.

L’insistance sur les mains se fait par un lexique dérivé du radical de main : “manie” ; “remanie” ; “manière”. L’auteur veut ici horrifier le lecteur en lui montrant l’image d’un convive mal élevé qui ne cesse de manipuler la nourriture.

De plus, son comportement est celui d’un animal : il “démembre, déchire”, ce qui évoque plus un loup ou un lion qu’un humain.

Les autres convives, témoins de ce spectacle, n’ont pas d’autre choix que de passer après lui. Le polyptote (même mot repris à des formes différentes) “s’ils veulent manger, mangent ses restes” insiste sur le verbe manger, et donc la goinfrerie de Gnathon.

Un profond dégoût

La Bruyère ne s’arrête pas là. Il cherche à faire de Gnathon, plus qu’un égocentrique notoire, un ignoble personnage, repoussant pour le lecteur.

Le groupe nominal “malpropretés dégoûtantes” aurait suffi à faire comprendre que Gnathon mange salement, mais La Bruyère donne des détails : “le jus et les sauces lui dégoûtent du menton et de la barbe”.

La similitude sonore entre dégoûtant et dégouttent permet au moraliste d’insister sur l’idée de dégoût. Le procédé de fausse répétition utilisé ici s’appelle la paronomase (utilisation successive de deux mots qui se ressemblent mais n’appartiennent pas à la même famille).

L’hyperbole “capables d’ôter l’appétit aux plus affamés” montre que Gnathon est le seul à ne pas se rendre compte qu’il se marginalise en se comportant comme une bête.

Gnathon, dans son vice de toucher à tous les plats, les mélange entre eux : “il le répand dans un autre plat et sur la nappe”.

On voit ici que le personnage n’a aucun respect pour son hôte, de qui il salît la nappe, renverse les plats, et chez qui il se comporte comme un animal : “on le suit à la trace”. Ici, le moraliste fait un clin d’œil aux animaux qui marquent leur territoire.

Le rapprochement de Gnathon avec un animal est achevé lorsque l’auteur compare la table de Gnathon à “un râtelier”, bac pour nourrir le bétail.

D’ailleurs, tel un bœuf ou un cochon, Gnathon s’oublie en mangeant : “il mange haut et avec grand bruit ; il roule des yeux en mangeant” ; “il écure ses dents, et il continue à manger”. On remarque ici un nouveau polyptote jouant sur la reprise par trois fois du verbe manger.

Cette répétition faussement maladroite de l’auteur illustre en fait l’appétit vorace et obsessionnel de Gnathon qui incarne ici un anti-portrait de l’honnête homme, qui devrait être cultivé, civilisé, mesuré, ouvert à l’autre et agréable.

Portrait de Gnathon analyse linéaire : Gnathon, l’égoïste par excellence

Après cette scène très dégradante pour Gnaton, La Bruyère entreprend d’élargir le portrait pour montrer son personnage dans d’autres situations.

L’indéfini “quelque part où il se trouve” montre que ses manières sont les mêmes partout. Son impolitesse lui colle à la peau, puisque partout il se fait “une manière d’établissement”, c’est-à-dire qu’il fait comme chez lui !

Pour insister sur le fait que Gnathon se comporte en tout lieu comme chez lui, La Bruyère utilise le comparatif qui lui permet de rapprocher son comportement social de son comportement dans l’intimité “il ne souffre pas d’être plus pressé au sermon ou au théâtre que dans sa chambre”.

En mentionnant le “théâtre”, suivi du “carrosse” un peu plus loin, La Bruyère suggère que Gnathon appartient à l’aristocratie, et politise donc son discours.

Il revient également à un sujet qui lui tient à coeur quand il parle d’aristocratie, celui de la mise en scène : en effet, Gnathon est rapproché d’un acteur dans cette dernière partie.

D’abord, La Bruyère emploie le mot “théâtre” pour préparer le lecteur. Ensuite, il dépeint Gnathon mentant dans un carrosse pour avoir la place désirée : “si l’on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse”.

Enfin, en parlant des valets un peu plus loin, La Bruyère suggère une scène de comédie, on peut penser à la relation maître / valet chez Molière : “ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service”.

Ce statut de maître est d’ailleurs confirmé par la répétition par deux fois de l’adjectif “meilleur” : “la meilleure chambre le meilleur lit”. On voit que Gnathon se réserve d’office l’aisance matérielle qui pour lui compte plus que la richesse morale.

L’hyperbole “il tourne tout à son usage” rappelle son égoïsme, et l’antithèse “ses valets, ceux d’autrui” lui donne des allures de propriétaire sur le personnel des autres.

Le jeu d’antithèses est poursuivi dans la phrase suivante : “il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne”. On peut remarquer l’adjonction d’une hyperbole à cette antithèse qui fait de Gnathon un personnage universellement détestable.

Notons également l’accumulation de négations qui parachève de donner une image négative du personnage : “ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, (…), ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne”.

La fin du texte donne le sentiment que l’auteur a voulu terminer la liste des défauts de Gnathon en peu de mots, après s’être attardé sur des exemples précis pour dégoûter le lecteur.

Enfin, pour apporter la touche finale à son portrait satirique, La Bruyère différencie Gnathon du genre humain. Il montre une dernière fois que Gnathon se sent supérieur à l’humanité entière : il “ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain”.

Le fait de mettre sur le même plan l’extinction de l’espère humain et la mort de Gnathon crée un effet comique, en exagérant l’égocentrisme du personnage.

Conclusion de l’analyse linéaire du portrait de Gnathon par La Bruyère

Rappel du développement

Le portrait de Gnathon donne donc à voir un homme qui représente à lui seul un trait de caractère : l’égocentrisme. Ce personnage type est mis en scène dans différentes situations afin de dégoûter le lecteur et de ridiculiser l’égoïsme en général.

Réponse à la problématique 

On se posait la question suivante : comment le personnage de Gnathon permet-il à La Bruyère de dresser un anti-portrait de l’honnête homme ?

On peut affirmer que Gnathon incarne métaphoriquement et allégoriquement l’égocentrisme et la domination d’autrui.

Pour La Bruyère, ces deux traits de caractère sont condamnables, et contraires à l’idéal classique de l’honnête homme.

Ainsi, en dressant un portrait dégoûtant et ridicule d’un personnage exagérément égoïste et empli de démesure, La Bruyère critique un avilissement de l’aristocratie qu’il constate dans les cercles qu’il fréquente.

Ouverture

Le ridicule du personnage de Gnathon dans ce passage peut être rapproché de l’utilisation du ridicule par Molière pour critiquer les dérives de l’aristocratie au XVIIe siècle, par exemple dans L’Avare, lors du monologue d’Harpagon.

Prolongements sur l’analyse linéaire du portrait de Gnathon des Caractères de La Bruyère

Autres analyses linéaires sur Les Caractères de La Bruyère :

Vous trouverez ici une liste des 25 figures de style à connaître pour le Bac. Pour ficher efficacement votre explication : https://la-classe-du-litteraire.com/comment-ficher-une-explication-lineaire/ et enfin, les erreurs à éviter à l’oral du Bac : https://la-classe-du-litteraire.com/bien-reussir-son-explication-lineaire/

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