Cette analyse linéaire du poème L’albatros de Charles Baudelaire est rédigée sous le prisme de l’alchimie poétique. Cependant, ce célèbre poème peut très bien s’inscrire dans le parcours “émancipations créatrices” lié au Cahier de Douai de Rimbaud.

C’est un poème très célèbre qui compare le poète à un albatros malmené par les marins.

L’analyse présentée ici propose un cadre que vous pouvez suivre et reproduire lors de l’épreuve anticipée de français. Vous pouvez bien entendu modifier la problématique, ou certaines analyses à votre convenance.

Avant de commencer à lire cette analyse, n’hésitez pas à vous reporter à mon article “comment analyser un texte en français”, à ma “méthode de l’explication linéaire” ainsi qu’à mon article sur le vocabulaire de la poésie pour mieux comprendre ma démarche.

Introduction de l’analyse linéaire du poème “L’albatros” des Fleurs du Mal

Présentation de l’auteur

L'albatros Analyse Linéaire

Charles Baudelaire, né en 1821 et mort en 1867, incarne pour beaucoup la figure du poète maudit.

Dandy parisien, dépensier à profusion, amoureux expansif, dépressif chronique, drogué, alcoolique, misogyne incurable, poète de génie, on a pu dire de nombreuses choses sur Baudelaire, dont beaucoup sont vraies …

Installé à Paris à l’âge de 21 ans, il dépense une bonne partie de l’héritage familial avant que sa mère ne décide de le placer sous tutelle, ce qu’il vit comme une humiliation. Toujours est-il qu’il est dès lors obligé de travailler pour vivre, et devient donc, en 1845, critique littéraire.

Ce travail lui permet de continuer à fréquenter les cercles littéraires, et à vivre d’excès. Il entame à cette époque une liaison avec l’actrice Jeanne Duval qu’il évoquera dans plusieurs poèmes des Fleurs du Mal. En 1847, le jeune poète rencontre Marie Daubrun, qui sera sa deuxième maîtresse importante.

L’année suivante, Baudelaire découvre Edgar Alan Poe dont il devient le traducteur en français. En plus de la grande beauté de ses traductions, Charles Baudelaire tire de cette expérience une grande source d’inspiration pour sa poésie.

Présentation de l’oeuvre

C’est en 1857 qu’il publie son chef-d’oeuvre : Les Fleurs du Mal. Dès sa sortie, le recueil est mis en procès, et finalement condamné pour “délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs”. Ce verdict est un choc pour Baudelaire, qui tout de même rencontre un immense succès pour son recueil.

De fait, Les Fleurs du Mal est un recueil éclectique, entre Romantisme, Parnasse et Symbolisme, lyrique parfois dans les poèmes d’amour dédiés à ses deux grandes maîtresses.

Mais dans ce recueil, il s’agit surtout pour Baudelaire, de se faire alchimiste poétique, c’est à dire d’utiliser la poésie pour accomplir le Grand Oeuvre de transformer la boue en or. Sublimer par les vers, la laideur du réel, tel est son accomplissement.

Présentation du poème

Présent au début du recueil, le célèbre poème “L’albatros” assimile le poète à l’oiseau : superbe dans son univers, le ciel, mais ridicule et maltraité parmi les hommes du commun.

Problématique

Ainsi, nous pourrons nous demander de quelle manière Baudelaire évoque sa condition d’homme et de poète.

Plan

Pour mener cette analyse linéaire du poème “L’albatros”, nous suivrons les mouvements du texte. D’abord la description de l’oiseau dans les airs dans la 1ère strophe, ensuite, la description de l’oiseau à terre dans les strophes 2 et 3, enfin, la comparaison du poète et de l’albatros dans la dernière strophe.

Texte du poème “L’albatros” pour l’analyse linéaire

L’albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

L’albatros de Charles Baudelaire : Analyse linéaire

I. La description de l’oiseau dans le ciel

Strophe 1

Le premier quatrain n’est en fait qu’une seule longue phrase qui évoque la grandeur, la large envergure de l’albatros.

Le rythme lent imposé par la juxtaposition et les nombreux compléments circonstanciels et expansions du nom (“pour s’amuser” ; “sur les gouffres amers” ; “vastes oiseaux des mers” ; “qui suivent”) imagent le vol majestueux et calme de l’oiseau.

Les jeux de sonorités participent également de cette évocation de la majesté de l’oiseau. On relève une allitération en -v “vastes” ; “voyage” ; “navire” qui peut laisser entendre le vol de l’albatros.

Une assonance en -an “souvent” ; “indolent” ; “glissant” peut également donner un effet de beauté et de grâce.

Enfin, l’oiseau est désigné par l’hypallage “vastes oiseau des mers”. Ici, l’adjectif vaste s’appliquerait plus logiquement à la mer. Ainsi, le poète insiste de manière hyperbolique sur la grandeur de l’oiseau.

Hélas, malgré cette majestueuse grâce de l’albatros, on voit qu’il est victime des hommes. Le premier mot du poème est l’adverbe de fréquence “souvent” qui dénote l’habitude. Accompagné du présent à valeur itérative “prennent”, cet adverbe renforce l’idée d’une scène qui se produit régulièrement.

Par ailleurs, le pluriel appliqué au nom “albatros” (des albatros) laisse entendre que la scène est régulière, et touche de nombreux oiseaux de cette espèce. Le choix du verbe prendre donne également une impression de violence : l’oiseau ne peut pas s’échapper.

Le complément circonstanciel de but “pour s’amuser” illustre la cruauté des hommes. Pour eux, la torture à venir de l’oiseau n’est qu’un jeu, un passe-temps.

On remarque également dans ce vers que les marins sont désignés par la périphrase “hommes d’équipage”. On peut gloser que cette périphrase permet au poète de faire apparaître le mot “hommes”, et donc de préparer l’extension de son propos à l’ensemble de la société.

Au niveau de la versification, les vers 1-2 comprennent un enjambement (le sujet et le verbe de la phrase sont dans 2 vers différents). Ce débordement de la phrase sur 2 vers évoque lui aussi la grandeur de l’oiseau, mais également sa gaucherie.

On peut entendre les vers trébucher, comme l’oiseau lorsqu’il est pris par les marins.

La cruauté des marins est soulignée par la proposition subordonnée relative “qui suivent”, complément de l’antécédent “des albatros”. On voit ici que les oiseaux sont parfaitement inoffensifs et que les marins s’attaquent à eux sans raison.

Le dernier vers de la strophe évoque pourtant la danger que courent les hommes sur la mer. L’allitération en -s/z/f “glissant sur les gouffres amers” évoque le vent qui se lève et pourrait facilement balayer le bateau.

Le groupe nominal “gouffres amers” sur lequel glisse le navire connote également cette idée de danger.

Ce danger, l’albatros n’y est pas soumis, le vent n’est pas son ennemi, ni les gouffres marins qu’il survole. Aussi est-il sur ce point supérieur aux hommes.

II. La description de l’oiseau à terre

Strophe 2

La description de l’albatros change complètement une fois qu’il est déposé au sol. Il passe de majestueuse créature volante à ridicule oiseau au sol. Les strophes 2 et 3 racontent son calvaire, maltraité par les marins qui représentent la société.

Au niveau des sonorités, on remarque que l’assonance en -an est remplacée par une allitération en -p dès le vers 5 : “peine” ; “déposés” ; “planches”. Cette allitération laisse entendre la violence subite par l’oiseau.

On note également l’allitération en -l au vers 7 et 8 : “l’azur” ; “maladroit” ; “laisse” ; “leurs” ; “ailes” ; “blanche”. Cette dernière peut suggérer l’idée que les grandes ailes de l’albatros, atout dans le ciel sont maintenant un handicap. Elles prennent trop de place et le gênent, comme le “l” dans ces vers.

La scène se déroule rapidement. Alors que la première strophe évoquait le vol lent de l’albatros, la seconde strophe commence par la locution adverbiale « À peine » qui montre que l’oiseau n’a pas le temps de s’adapter à son nouvel environnement.

Ce nouvel environnement est aussi bien le pont du bateau, désigné par la métonymie “les planches” qu’une scène de théâtre, que peut suggérer cette métonymie. Ainsi, les marins s’apprêtent-ils à tourner l’oiseau en ridicule pour se divertir autour de son triste spectacle.

Au vers suivant, l’antithèse entre le groupe nominal « rois de l’azur » et ses adjectifs « maladroits et honteux » met en valeur la transformation et la dégradation de l’albatros.

Cette dégradation est également suggérée par l’arrivée, vers 7 et 8 de l’assonance en -eu “piteusement” ; “leurs” ; “grandes” ; “ailes” ; “d’eux”. Cette sonorité, beaucoup moins gracieuse que l’assonance en -an de la première phrase évoque le ridicule de l’oiseau.

Notons également la comparaison “comme des avirons” qui désigne les ailes de l’albatros. L’image est étrange, car pour les humains, les avirons permettent d’avancer, alors que les ailes de l’oiseau ne sont qu’un handicap une fois posé au sol.

Strophe 3

Dans la troisième strophe, le rythme se saccade, les phrases se raccourcissent. On voit que l’albatros a perdu toute la grâce de son mouvement aérien et se retrouve à trébucher au sol. Cette strophe, évoque, par des jeux de mots et de rythme, la moquerie de l’oiseau.

L’antithèse entre le groupe nominal “voyageur ailé” et ses adjectifs “gauche et veule” confirme la maladresse de l’albatros posé au sol.

Le poète laisse entendre sa plainte par les 3 phrases exclamatives de cette strophe. On peut sentir qu’il plaint l’oiseau, mais ne peut lui venir en aide.

Par ailleurs, on remarque que l’oiseau, par les noms qui le désignent et les adjectifs qui le qualifient, est progressivement personnifié et se rapproche du poète : “voyageur” ; “gauche” ; “comique” ; “infirme”

On entend également dans les mots choisis, par des jeux d’homophonie, les mauvaises plaisanteries des marins ridiculisant l’oiseau : “ce voyageur ailé” peut s’entendre “ce voyageur est laid”. On trouve d’ailleurs un écho au vers 10 (“comique et laid”).

Les verbes d’action au présent de l’indicatif montrent les hommes torturant et se moquant de l’albatros. Le lecteur peut avoir pitié du pauvre oiseau avec lequel jouent des marins “pour s’amuser”.

Enfin, l’oxymore finale de la troisième strophe « l’infirme qui volait » désigne l’albatros entre liberté́ et soumission. On retrouve dans le poème les champs lexicaux de la domination et du déclassement qui corroborent cette opposition : « vastes oiseaux » v. 2, « rois de l’azur» v. 6, «grandes ailes» v. 7, «prince des nuées» v. 13, «se rit de» v. 14, «ailes de géant» v. 16 / « déposés » v. 5, « maladroit et honteux », v.6, « piteusement » v. 7, « traîner » v. 8, « gauche et veule » v. 9, « boitant » v. 12, « exilé » v. 15 

III. La comparaison du poète et de l’albatros

Strophe 4

La dernière strophe donne au lecteur la clé du poème : l’albatros est une allégorie du poète et de sa condition d’artiste. Dans la société, il n’est qu’un homme dont on se moque, mais dans son univers de création poétique, il est supérieur et libre.

La comparaison du vers 13 exprime clairement le rapprochement entre le poète et l’albatros. On voit que l’oiseau est désigné par la périphrase élogieuse “prince des nuées”, ce qui permet d’une part de le personnifier, et d’autre part d’insister sur sa grandeur, et donc sur celle du poète.

On remarque par ailleurs que le nom “Poète” porte une majuscule, ce qui le rapproche d’une figure divine. Il apparait donc que le poète porte en lui la même opposition que l’albatros. Il est un être supérieur, mais incapable de vivre parmi les hommes qui le tournent en ridicule et le font souffrir.

Ainsi, comme l’albatros, le poète est insensible aux attaques violentes qu’il reçoit : il “se rit de l’archer” et “hante la tempête”. Il est en fait intouchable dans son monde de poésie.

L’utilisation du verbe hanter est intéressante car elle peut suggérer que le poète, comme un fantôme, est forcé de vivre parmi les hommes, mais n’est que traversé par leurs attaques.

Enfin, le poète est voué à la solitude, comme l’indique l’adjectif “exilé” (v.14) Il est un incompris, il ne reçoit que des “huées”.

La fin du poème voit la fusion du poète et de l’albatros s’achever. Le poète est finalement désigné comme l’albatros, car on ne sait plus à qui s’applique le déterminant possessif “ses ailes de géant”.

Aussi, les ailes peuvent-elles désigner métaphoriquement le pouvoir poétique du poète, qui est un don, mais une malédiction parmi les hommes, car il le condamne à la solitude.

En effet, le poète ne pourra jamais se comporter comme les autres hommes. C’est le sens qu’il faut donner au dernier vers : “ses ailes de géants l’empêchent de marcher.”

Certes, le poète peut bien plus que “marcher”, c’est à dire se fondre dans la masse. Son pouvoir lui permet de s’élever au-dessus des hommes.

Mais Baudelaire nous rappelle ici que toute médaille possède un revers. L’utilisation du verbe négatif “l’empêchent” exprime cette impossibilité finale de vivre parmi les autres hommes.

Conclusion de l’analyse linéaire du poème “L’albatros” de Charles Baudelaire

Rappel du développement

Ce poème, en évoquant d’abord la majesté d’un albatros capturé par des marins, puis sa déchéance une fois posé au sol, opère finalement une comparaison entre le sort de l’oiseau et celui du poète.

Réponse à la problématique 

En s’appuyant sur l’allégorie de l’albatros, Baudelaire évoque en réalité sa condition de poète, âme divine ayant chuté sur terre. Il affirme sa dualité, celle d’être un homme maltraité par ses pairs, mais également un individu supérieur capable de s’élever au-dessus de ces bassesses par la poésie.

Ouverture

Ce poème, par l’oiseau qu’il met en scène et la réflexion sur la figure du poète, peut évoquer le poème “La nuit de mai” d’Alfred de Musset, où un pélican, image du poète, offre son coeur pour nourrir ses petits.

Cependant, c’est surtout du thème de l’alchimie poétique qu’il faut rapprocher le poème “L’albatros”. En effet, le lecteur lit bien ici une transformation, la sublimation d’un être maladroit et inadapté en un être supérieur, par la parole poétique.

Prolongements sur l’analyse linéaire du poème “L’albatros”

Vous trouverez ici une liste des 25 figures de style à connaître pour le Bac. Pour ficher efficacement votre explication : https://la-classe-du-litteraire.com/comment-ficher-une-explication-lineaire/ et enfin, les erreurs à éviter à l’oral du Bac : https://la-classe-du-litteraire.com/bien-reussir-son-explication-lineaire/

Enfin, l’analyse linéaire du poème “À une charogne” de Charles Baudelaire : https://la-classe-du-litteraire.com/a-une-charogne-analyse-lineaire/

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