Cette analyse linéaire du poème L’alchimiste d’Aloysius Bertrand offre les clés d’analyse du poème et de son thème principal : l’alchimie poétique.

L’analyse présentée ici propose un cadre que vous pouvez suivre et reproduire lors de l’épreuve anticipée de français. Vous pouvez bien entendu modifier la problématique, ou certaines analyses à votre convenance.

Avant de commencer à lire cette analyse, n’hésitez pas à vous reporter à mon article “comment analyser un texte en français”, à ma “méthode de l’explication linéaire” ainsi qu’à mon article sur le vocabulaire de la poésie pour mieux comprendre ma démarche.

Introduction de l’analyse linéaire du poème “L’alchimiste” d’Aloysius Bertrand

Présentation de l’auteur

L'alchimiste d'Aloysius Bertrand : Analyse Linéaire (Bac 2023)

Aloysius Bertrand est né en 1807 et mort en 1841.

Jamais publié de son vivant, il a pourtant largement oeuvré à la diffusion du Romantisme en province. Il est également considéré comme un précurseur du Symbolisme.

Mais ce pourquoi Aloysius Bertrand est le plus connu, c’est l’introduction de la poésie en prose en France.

En effet, Baudelaire affirme l’avoir pris pour modèle lors de la rédaction de ses petits poèmes en prose (1869), mais ne revendique pas la paternité de cette forme encore rare.

Ainsi, Aloysius Bertrand serait l’un des premiers à renoncer à la versification en faveur d’une poésie appuyée sur les jeux sémantiques, et sonores.

Présentation de l’oeuvre

Le chef-d’oeuvre d’Aloysius Bertrand, c’est son célèbre Gaspard de la nuit. Publié en 1842, à titre posthume, ce long recueil de courts poèmes en prose puise dans une inspiration onirique et gothique pour donner vie à une vision pittoresque d’un Moyen Âge fantasmé.

Présentation du poème

Huitième poème du premier livre, “L’alchimiste” offre a lecteur une scène d’alchimie. Ou plutôt de tentative d’alchimie puisque l’alchimiste ne parvient pas à fabriquer la pierre philosophale et revient sans cesse au même échec.

Ce poème semble disposé en strophes, mais l’absence de majuscule en début de ligne et la disposition de phrase indique qu’il s’agit bien d’un poème en prose.

Dans le cadre d’une meilleure compréhension des enjeux du poème, je vous recommande la lecture de cet article (5 minutes) avant d’aller plus loin dans l’analyse linéaire.

Problématique

Face à ce poème, on peut se demander comment le poète utilise le thème de l’alchimie pour proposer une image de la création poétique.

Plan

Pour mener cette analyse linéaire du poème “L’alchimiste” d’Aloysius Bertrand, nous suivrons les mouvements du texte. D’abord l’échec de l’alchimiste dans la 1ère strophe, ensuite, l’expérience en cours dans les strophes 2, 3, 4 et 5, enfin, la question de l’échec final dans la dernière strophe.

Texte du poème “L’alchimiste” d’Aloysius Bertrand pour l’analyse linéaire

L’alchimiste

Rien encore ! – Et vainement ai-je feuilleté pendant 
trois jours et trois nuits, aux blafardes lueurs
de la lampe, les livres hermétiques de Raymond-Lulle !

Non rien, si ce n’est avec le sifflement de la cornue 
étincelante, les rires moqueurs d’un salamandre qui se 
fait un jeu de troubler mes méditations.

Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe, 
tantôt il me décoche de son arbalète un trait de feu 
dans mon manteau.

Ou bien fourbit-il son armure, c’est alors la cendre 
du fourneau qu’il soude sur les pages de mon formulaire 
et sur l’encre de mon écritoire.

Et la cornue, toujours plus étincelante, siffle le 
même air que le diable, quand Saint Eloy lui tenailla 
le nez dans sa forge.

Mais rien encore ! – Et pendant trois autres jours et 
trois autres nuits, je feuilletterai, aux blafardes 
lueurs de la lampe, les livres hermétiques de 
Raymond-Lulle !

L’alchimiste d’Aloysius Bertrand : Analyse linéaire

I. L’échec de l’alchimiste

Strophe 1

Dès la première ligne, l’adverbe négatif “rien” traduit l’échec. La modalité exclamative de cette phrase non verbale souligne la déception de l’alchimiste qu’il exprime vivement. L’adverbe complèment circonstanciel de manière négatif “vainement” étend cette idée d’échec.

Aussi, avant même de comprendre le propos du poème, le lecteur sait que l’entreprise est un échec.

L’utilisation du pronom personnel de la première personne du singulier “je” crée une confusion entre la parole du poète et celle de l’alchimiste, si bien que le lecteur peut se demander s’il ne s’agit pas de la même personne. Ainsi, dès la première ligne, les figures du poète et de l’alchimiste sont mélangées.

Enfin, le verbe utilisé dans la 2e phrase est familier : “feuilleté”. Cela peut créer décalage de registre de langue avec l’adverbe “vainement”, décalage typique des poèmes en prose.

Le complément circonstanciel de temps à valeur d’hyperbole « pendant trois jours et trois nuits » insiste sur le travail acharné et incessant de l’alchimiste, et donc peut-être du poète. 

Les conditions du travail sont difficiles, comme le manque de lumière suggéré par le groupe nominal “lueurs blafardes”, et la difficulté des livres d’alchimie, qualifiés d'”hermétiques”. Par ailleurs, le choix de l’adjectif “blafardes” plonge le lecteur dans un univers de mystère gothique.

Métaphoriquement, les “blafardes lueurs” évoquent également l’incompréhension de l’alchimiste, puisque la lumière représente généralement le savoir.

Au niveau des sonorités, on peut noter une allitération en -l : “Blafardes lueurs” ; “la lampe” ; “les livres” ; “Lulle”. Il est possible d’y lire une représentation de l’écoulement lent du temps. Cette idée est corroborée par le phénomène d’enjambement dans l’ensemble de la strophe.

Le travail est donc long, laborieux, et la recherche alchimique ne progresse pas.

Pour l’enjambement, on remarque le choix de placer le mot “lampe” en position de rejet à la ligne 3. La lampe évoquant la lumière, faut-il lire ici l’idée d’un savoir inaccessible qui fuit l’alchimiste ou le poète ?

L’adjectif “hermétiques” renvoie directement à l’alchimie que l’on appelait “science hermétique”. C’est également la difficulté de comprendre malgré tous les efforts du poète.

Le poète termine la strophe en faisant référence à Raymond-Lulle. Cet homme du XIIIe siècle aurait réussi le Grand Oeuvre : trouver la pierre philosophale et transformer les métaux en or. Cependant, ses traités n’ont pas été retrouvés et semblent même avoir été inventés.

Si l’on observe les couleurs dans la première strophe, on retrouve plusieurs références au noir comme “nuit” et “hermétique” et au blanc comme “blafardes lueurs”, “lampes”, “jours”. Peut-être faut-il lire ici le début du processus alchimique c’est à dire d’abord l’oeuvre au noir, puis l’oeuvre au blanc.

Alors le Grand Oeuvre serait en marche.

Cependant, le passage de l’oeuvre au noir à l’oeuvre au blanc est chaotique, en témoignent les jeux d’antithèses “trois jours et trois nuits” ; “blafardes lueurs de la lampe”. Le processus ne semble pas se dérouler de manière stable, mais plutôt passer rapidement d’une étape à l’autre.

II. Les obstacles au Grand Oeuvre

Strophe 2

Le début de la seconde strophe fait écho à la ligne 1. Le “rien” s’est transformé en “non rien”. On note donc qu’une transformation s’est bel et bien opérée.

Les deux instruments nécessaires à l’alchimie (la “cornue” et la”salamandre”) sont mentionnée dans cette strophe, ce qui montre que le poète passe à l’action. ll a cessé de lire pour pratiquer.

Ce qui peut étonner, c’est d’abord la personnification de la salamandre (outil destiné à chauffer) « les rires moqueurs d’un salamandre » et l’emploi du masculin pour un nom féminin.

Au masculin, un salamandre représente un esprit du feu.

La personnification qui donne vie à l’instrument de l’alchimiste entraîne le lecteur dans un univers surnaturel, proche du rêve.

Au niveau des couleur, c’est le rouge qui est ici représenté, donc le Grand Oeuvre progresse car l’oeuvre au rouge est en cours.

On remarque que le travail de l’alchimiste mène à des transformations bruyantes : “sifflements” ; “rire”. Ainsi, l’ambiance calme de lecture dans la première strophe est contrastée par les bruits de la deuxième.

On peut lire ici la volonté du poète de jouer sur les contrastes pour faire ressentir au lecteur toute l’incertitude de l’alchimiste.

Strophe 3

« le salamandre » personnifié s’en prend directement à l’alchimiste dans la 3e strophe. On remarque les deux verbes d’action « attache » et « décoche » et la répétition de l’adverbe « Tantôt » qui insistent sur l’enchaînement des deux attaques.

Le choix d’un vocabulaire guerrier (“décoche” ; “arbalète” ; “trait” et “armure” au début de la strophe suivante) dénote une transformation lors de laquelle le salamandre semble vouloir s’en prendre directement à l’alchimiste : « pétard », « un trait de feu ».

Faut-il penser que cela signifie que l’alchimiste est sur la bonne voie ? Qu’un esprit cherche à l’empêcher de réussir ? Cette piste de lecture peut être appuyée par l’omniprésence de la couleur rouge dans la strophe. Le rouge étant la couleur de la dernière étape du Grand Oeuvre.

D’un point de vue sonore, le laboratoire semble s’activer. En témoignent les sonorités explosives en -p, -b et -t dans toute la strophe. Aussi, cette troisième strophe donne-t-elle à voir et entendre des réaction alchimiques par les couleurs et les sons.  

L’imagination du lecteur est donc largement mobilisée dans cette strophe. On peut y voir un savant dans son laboratoire sifflant et pétaradant. Le salamandre serait une personnification des flammes échappant à l’expérience, venant bruler la barbe de l’alchimiste.

Le comportement du salamandre relève cependant du registre comique (imaginer un petit personnage avec une arbalète, des flèches de feu et des pétards) et apporte un peu de légèreté à la scène très sombre, à l’ambiance médiévale.

Strophe 4

Dans cette strophe, le vocabulaire archaïque renvoie bien à une ambiance médiévale : « tantôt », « fourbit », « écritoire ». 

Ici, le salamandre cherche réellement à empêcher l’alchimiste d’avancer dans ses recherches en effaçant ses notes : “la cendre du fourneau qu’il soude sur les pages de mon formulaire”. L’allitération en -s “son” : “cendre” ; “soude” ; “sur” peut faire imaginer le salamandre en action.

Ce que l’on remarque dans cette strophe, c’est que l’expérience alchimique se mue en une activité d’écriture. Le champs lexical de l’écriture est présent dans toute la strophe avec les mots “pages” ; “formulaire” ; “encre” et “écritoire”. La transformation se confirme donc entre l’alchimiste et le poète.

Strophe 5

Pendant ce temps, la cinquième strophe nous ramène à l’expérience qui bat toujours son plein. La cornue est “toujours plus étincelante” (hyperbole) et “siffle le même air que le diable” (comparaison qui suggère un son très fort).

Ici, on entend l’expérience faire de plus en plus de bruit, et la couleur rouge s’affirmer, comme si le Grand Oeuvre était prêt à aboutir.

On note également que la référence au patron des forgerons “Saint Eloy” apporte encore plus de consistance à la couleur rouge qui semble recouvrir symboliquement la strophe : le diable est rouge, la cornue rougit et on fait référence aux forgerons.

On peut conclure ce mouvement en affirmant qu’il donne au lecteur à voir une expérience immersive. L’alchimiste mène son expérience malgré le danger. On voit la feu et les explosions s’accentuer ce qui suggère qu’il est tout proche du but.

III. L’échec final ?

Strophe 5

La dernière strophe donne l’impression d’un éternel recommencement.

On constate d’emblée sa construction symétrique avec la première. En effet, elle n’ajoute que l’adverbe “mais” qui souligne l’échec de l’expérience malgré tout le bruit qu’elle a fait, et les adjectifs “autres” qui dénote l’idée d’un acharnement de l’alchimiste.

On peut donc dire que le poème est construit de manière circulaire, et que l’alchimiste n’a fait que revenir à son échec du début. Il affirme au futur simple sa volonté de continuer : “je feuilletterai (…) les livres hermétiques de Raymond-Lulle”.

Toutefois on note quelques différences par rapport au début du poème : ajout de l’adverbe « Mais » et de l’adj. « autres ». La strophe n’est donc pas identique. Il y a bien eu une transformation, donc l’alchimie n’est pas un échec total. 

De plus, dans la première strophe, le poète utilisais l’adverbe “vainement” auquel il renonce dans la dernière strophe. Cela montre qu’il ne considère pas que son expérience a été vaine : il y a eu une progression.

Enfin, ajoutons que l’alchimie n’a pas été improductive puisqu’elle a permis de créer le poème, à défaut de pierre philosophale.

Conclusion de l’analyse linéaire du poème “L’alchimiste” d’Aloysius Bertrand

Rappel du développement

Nous avons pu voir d’abord l’alchimiste dans une posture d’étude. Dans la partie centrale du poème il s’attache à son expérience et crée de nombreuses réactions sonores et visuelles.

C’est aussi dans cette partie que se confondent l’alchimiste et le poète. Finalement, l’expérience semble avoir échoué, mais pas complètement.

Réponse à la problématique 

En s’appuyant sur l’image de l’alchimiste, Aloysius Bertrand rend compte du processus de création poétique. Le poète est un infatigable travailleur, qui pense toujours avoir échoué alors qu’il sème des poèmes derrière lui.

Dans ce poème, on peut affirmer que le processus alchimique a échoué, mais qu’il y a bien eu alchimie poétique, c’est à dire transformation des mots en un poème.

Ouverture

Ce poème d’Aloysius Bertrand peut être mis en relation avec plusieurs poèmes des fleurs du mal traitant de l’alchimie poétique. On pense notamment au poème “Alchimie de la douleur” qui montre, lui aussi, un poète/alchimiste face à ses échecs répétés.

Prolongements sur l’analyse linéaire du poème “L’albatros”

Vous trouverez ici une liste des 25 figures de style à connaître pour le Bac. Pour ficher efficacement votre explication : https://la-classe-du-litteraire.com/comment-ficher-une-explication-lineaire/ et enfin, les erreurs à éviter à l’oral du Bac : https://la-classe-du-litteraire.com/bien-reussir-son-explication-lineaire/

Enfin, l’analyse linéaire du poème “À une charogne” de Charles Baudelaire : https://la-classe-du-litteraire.com/a-une-charogne-analyse-lineaire/

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